Tech 4 Health

Entretien avec Sofia Rezgui Villaume

La prévention grâce à la data

Explications : cet article ouvre une série dédiée à la prévention en santé publique. À travers des initiatives variées, nous découvrirons comment l’innovation et la data façonnent les pratiques de demain. Car, comme le souligne Sofia Rezgui Villaume, notre première invitée, mieux prévenir, c’est mieux comprendre.




LEVER LES ZONES D’OMBRE : 
EXPLORER LA SANTÉ DES FEMMES GRÂCE À LA DATA 
Sofia Rezgui Villaume, chef de projet digital orientée data, vient d’achever une formation intensive en data analytics au sein du @Wagon (centre de formation classé parmi les meilleurs bootcamps tech au monde). Pour son projet de fin d’études, elle a choisi d’explorer un sujet complexe : la santé cardiovasculaire des femmes. Ce travail, entre jeu de piste et analyse scientifique, met en lumière les apports de la data dans la prévention et pose les bases de réflexions sur la santé publique. UN CONSTAT TROUBLANT Au départ, une simple statistique : les hommes sont plus souvent atteints de maladies cardiovasculaires, mais pourtant les femmes en meurent plus. Une femme atteinte d’une maladie cardiovasculaire a 64 % plus de risque d’en décéder qu’un homme également atteint. Au global, elles sont environ 13 % de plus à décéder chaque année en France. Cette donnée, issue des bases statistiques européennes, intrigue Sofia et son équipe. « Cela nous a frappés », confie-t-elle. Pourquoi une telle disparité ? Pour répondre à cette question, l’équipe entame une démarche exploratoire. Les données disponibles via les datasets, anonymisées et quantitatives, permettent de cerner des tendances générales. Mais, très vite, le travail révèle la complexité du sujet : croiser les données épidémiologiques, identifier des corrélations et interpréter les résultats exige une rigueur méthodologique. UNE DÉMARCHE MÉTHODIQUE Le point de départ ? Identifier la principale cause de mortalité cardiovasculaire chez les femmes : l’AVC. Sofia explique : « Nous avons d’abord analysé les données en France, en nous concentrant sur la prévalence (le pourcentage de personnes atteintes) par département. » Cette première étape inclut une comparaison avec les déserts médicaux, mais les corrélations trouvées ne permettent pas de distinguer un impact spécifique selon le sexe. Un premier paradoxe. L’équipe élargit alors l’analyse à l’échelle européenne et examine plusieurs facteurs de risque classiques : alcool, tabac, obésité, sédentarité et alimentation déséquilibrée. Une surprise : les femmes présentent globalement moins de comportements à risque que les hommes. Elles fument moins et consomment moins d’alcool. Toutefois, elles sont plus sédentaires – un facteur insuffisant pour expliquer la différence de mortalité. Matrice de correlation I Will Survive LA PISTE HORMONALE : UNE CLÉ POUR COMPRENDRE Les résultats convergent vers une réalité transversale : dans tous les pays européens, les femmes meurent davantage des AVC. Un tournant dans l’analyse survient avec l’introduction d’une donnée supplémentaire : la tranche d’âge. « Jusqu’à 55 ans, les courbes de mortalité des hommes et des femmes sont similaires. Mais après 55 ans, la courbe féminine devient exponentielle », souligne Sofia. AVC Tranche d'age Cette rupture correspond à un événement biologique universel : la ménopause. À cette période, la chute des hormones féminines – œstrogènes et progestérone – a des effets considérables :
- Augmentation de 20 % de la rigidité artérielle en cinq ans. 
- Hausse de 15 % du cholestérol LDL (le « mauvais cholestérol »). 
- 50 % de prévalence à l'hypertension après 55 ans (versus 30 % à 45 ans). 
- Inflammation accrue, mesurée par un marqueur, la protéine C réactive (+40 %). 
Ces transformations créent un terrain propice aux maladies cardiovasculaires. « C’est à la fois une explication biologique et un appel à réfléchir à la prévention », explique Sofia. Ménopause & Hormones LES DÉFIS DES DONNÉES DE SANTÉ PUBLIQUE Malgré ces découvertes, de nombreuses zones d’ombre persistent. Le projet s’est heurté aux limites des datasets disponibles : - Les données sur le stress ou le sommeil, pourtant déterminants pour la santé, restent rares et peu fiables. - Les métriques traditionnelles comme l’IMC sont jugées obsolètes, ne tenant pas compte de la répartition musculaire ou graisseuse. Pour Sofia, l’avenir passe par une meilleure exploitation des données issues de dispositifs connectés (montres, balances intelligentes). « Ces outils captent des informations précieuses, mais elles restent inaccessibles, souvent réservées au privé », regrette-t-elle. 

UN PROJET TOURNÉ VERS LA PRÉVENTION Pour prolonger cette réflexion, Sofia et son équipe ont imaginé un dashboard interactif permettant de suivre la santé des femmes en temps réel. Ce tableau croise les données comportementales et biologiques pour produire un indice de santé dynamique, mis à jour régulièrement via un questionnaire déclaratif. Toutefois, en neuf semaines de formation, il était impossible de produire un outil totalement fiable. « Dans le domaine de la santé, on ne peut pas se satisfaire d’une marge d’erreur de 10 % », reconnaît Sofia. Mais cela démontre, si besoin est, qu’il est essentiel d’utiliser la data comme levier pour anticiper les risques et personnaliser la prévention. 
Ménopause & Hormones
VERS UNE MEILLEURE COMPRÉHENSION DE LA SANTÉ DES FEMMES « Travailler sur ce sujet a été incroyablement stimulant », conclut Sofia. « Ce projet m’a montré à quel point la santé des femmes reste un champ à explorer et à valoriser ». En introduisant des outils numériques dans la prévention, le projet met en lumière une réalité parfois négligée : les inégalités de recherche et de prise en charge en fonction du sexe. La data, dans ce contexte, devient un outil puissant pour transformer ces constats en actions concrètes.